Etat d’âmesterdam

Il pleuvait à mon arrivée à Amsterdam, et après avoir longé les bords du Prinsengracht, un des canaux de la ville, j’ai trouvé refuge dans un coffee-shop où j’ai aussitôt commandé une bière - quatre euros la pinte, moins chère qu’à Paris. Depuis ma table, j’avais une vue sur le canal, mais mon regard peu à peu se perdait dans les gouttes de pluie qui coulaient le long de la vitre. Il y avait un match de foot (Pays-Bas - République tchèque) qui passait sur l’écran accroché au-dessus du bar. Tout le monde regardait, sauf moi... et trois gars attablés au fond de la salle. Grâce à eux, je me sentais un peu moins seul et, de temps à autre, je jetais des regards dans leur direction. De ma place, je ne distinguais que leurs cheveux blonds et leurs dos penchés en avant : on aurait dit trois anarchistes en train de comploter un coup. Je me demandais ce qui pouvait bien attirer leur attention à ce point, oubliant momentanément qu’ils n’étaient pas les seuls à ignorer le match (le dernier quart de finale, apprendrai-je par la suite). Moi aussi, dans mon coin, je faisais bande à part, exactement comme eux. (J’en avais l’habitude : chez moi, au Danemark, ne pas être fan de foot, c’était se priver d’un point commun avec la quasi totalité de la population masculine.) Enfin, les trois anars blonds sont partis, et une fois ma bière terminée, j’ai suivi leur exemple. Dehors, à chaque coin de rue, il me semblait que j’allais tomber sur elle, Luce, la fille du train. J’avais réservé une chambre dans un bateau-hôtel, ou « botel », comme on appelait ces péniches amarrées au port et réaménagées en habitations. C’était pas mal - je m’étais attendu à pire -, avec en prime plusieurs chaînes câblées (dont deux pornos, genre Kanal København). Comme il pleuvait toujours, j’ai décidé de m’abriter au musée Van Gogh, un bâtiment de style ultra-moderne, et j’y ai passé un moment à étudier les tableaux peints par Van Gogh de sa chambre à Arles : il y en avait une bonne dizaine, puis des croquis, des ébauches, dans des camaïeux de couleurs différentes. Une phrase lue je ne sais plus où, et de je ne sais plus qui, m’est alors revenue : « La chambre de Van Gogh est le portrait de son âme ». Je me suis ensuite arrêté devant les paysages pointillistes de Paul Signac qui m’avaient toujours fait penser à ces tests de couleurs utilisés pour détecter le daltonisme. Il faisait déjà nuit quand j’ai quitté le musée, mais la pluie avait cessé, et j’ai passé quelques heures à me promener au hasard, évitant les flaques d’eau et grelottant de froid dans mon petit pull - j’aurais mieux fait de prendre un manteau plus chaud -, pour finir dans le quartier rouge situé dans la vieille ville, le plus ancien des quartiers d’Amsterdam. En passant devant une des vitrines éclairées au néon, j’ai laissé échapper un cri d’effroi au moment où un « mannequin », jusqu’alors parfaitement immobile, s’est mis à bouger sur sa chaise. Le vague à l’âme, j’ai regagné mon botel. Cette nuit-là, j’ai rêvé du trio du coffee-shop : il y avait sur leur table quelque chose qu’ils examinaient avec beaucoup d’attention, mais je n’arrivais pas à distinguer de quoi il s’agissait, même dans mon rêve.

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